Interview : Marc Fouchard, défenseur de la face cachée de la France

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Présent pour une masterclass au Festival Kinoma 2018, Marc Fouchard est un réalisateur remarqué par ses courts métrages « Personnes  » et « Les frémissements du thé », et avec qui il faudra compter. Sur le point de sortir son premier long-métrage Break, l’occasion était trop belle pour ne pas rencontrer cet artiste qui a connu la déferlante hip-hop des années 90 et qui en a été profondément marqué.

 

Il faut réaliser qu’on est les nouveaux influenceurs et qu’on a avec nous l’éducation, la rage et la détermination.

 

Marc, tu as une relation, qui à défaut d’être sexuelle, est particulièrement intime avec le festival Kinoma. Tu veux nous en dire plus ?

Non je n’ai pas de relations sexuelles avec le Kinoma (rires), mais j’ai un lien très fort avec ce festival. Les organisateurs m’ont fait confiance et validé avant même que les autres ne le fassent. Ils ont été dans les premiers à sélectionner mon film « Les frémissements du thé ». Je ne suis pas passé par la FEMIS ou autre école de ciné. J’ai un BAC+5 en culture hip-hop, spécialisation danse et graph (rires) et de multimédia accessoirement, donc je suis un autodidacte dans le cinéma et le Kinoma a validé ce bagage.

Les frémissements du thé semble être un événement clé pour toi.

Il s’agit de mon dernier court-métrage. Il est important car il m’a a apporté une crédibilité et une médiatisation forte. On a remporté 43 récompenses en 90 sélections dans différents festivals, dont le grand prix d’Indianapolis en 2015 puis le  film a été shortlisté pour la nomination à l’Oscar 2017 du meilleur court-métrage.

Quand est-ce qu’on te voit aux côtés de Martin Scorsese au panthéon du cinéma alors ?

Scorsese est intouchable, laisse tomber. Mais si tu veux savoir, le film a été sélectionné au festival Tribeca, ce qui m’a donné l’occasion de rencontrer son fondateur qui est également l’une de mes idoles de jeunesse, Robert de Niro.

C’est également l’idole de jeunesse de toute personne normalement constituée.

Tu peux le dire. J’étais sur un nuage. J’ai appelé tous mes proches. Pour moi c’est une revanche. Je viens de banlieue comme Scorsese en quelque sorte que tu évoquais d’ailleurs. J’y suis né et j’y ai grandis. On nous fait comprendre depuis qu’on est mômes qu’on est des sous-citoyens, que ça va être plus difficile pour nous. Ça me rend dingue qu’on puisse nous étiqueter sur notre département d’origine, qu’on puisse même ne pas nous considérer. Le cinéma n’est pas qu’un champ/contre-champ dans des appartements parisiens.

Avec mon dernier film « Break » notamment, ma volonté était de mettre en scène ce que certains appellent avec mépris la « sous-culture ». Mais cette sous-culture (culture hip-hop ndlr) c’est la mienne, c’est mes origines, une partie de moi, donc je la défends. Il faut réaliser qu’on est les nouveaux influenceurs et qu’on a avec nous l’éducation, la rage et la détermination.

Entre le fait que tu vienne de banlieue, ton bagage hip-hop, tu entretiens un fil rouge dans les films que tu fais ?

Pour le moment si je devais voir un fil rouge dans les films que je fais ce serait cette envie d’aborder le thème de la famille, plus précisément les liens familiaux ou la quête d’identité. C’est vrai que j’ai une famille un peu complexe. Je pense que ça joue. Et puis enfin j’ai envie de parler de ma banlieue. Et des gens qui y habitent. Je suis né à Tremblay-en-France dans le 93, j’ai vécu à Villeparisis dans le 77 et maintenant Montreuil, je suis un banlieusard et c’est très important pour moi.

J’y ai vécu de très bons souvenirs, des moments très forts comme des moments compliqués: je me suis fait braqué au flingue, au couteau. C’est quelque chose qui a nourri mes scénarios. La banlieue, son décor, les rencontres ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui. Tout comme le hip-hop et le cinéma d’ailleurs.

 

La banlieue, son décor, les rencontres ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui.

 

Comme chez L A R S & R U B Y on n’est pas des gens pessimistes mais plutôt positifs, on ne te demandera pas ce que tu aimerais changer dans le cinéma français, mais on se demande tout de même ce que tu aimerais y améliorer.

Améliorer le cinéma français ? Je ne sais pas si j’en suis capable, comme tous les réalisateurs je lorgne vers ce qui se fait aux USA mais il faut savoir une chose : je suis très fier du cinéma français et notamment de Jacques Audiard. Son cinéma est incroyable.

Alors certes, quand on pense cinéma français on pense à certains films d’auteurs chiants, mais à côté il y a aussi du cinéma d’auteur, fait en France qui nous fait nous sentir vivant ! Et il ne faut pas oublier de faire parler de lui. Par exemple, il ne faut pas oublier que « La Haine » c’est du film d’auteur. 1995. Et ce film m’a retourné. Pour la première fois à l’écran je voyais des mecs qui étaient fringués comme moi, qui dansaient comme moi et qui venaient de la banlieue comme moi.

Au niveau grand public, l’un des rares à avoir reproduit l’expérience c’est Luc Besson quand on y pense.

C’est vrai.  D’ailleurs c’est dommage qu’on ait tendance à se focaliser sur ses dernières productions. Il ne faut pas oublier que Luc Besson a marqué le paysage français et international.

En ce qui me concerne « Nikita », « Léon » et « Le grand bleu » ont été des souvenirs très puissants en terme de cinéma dans ma jeunesse. En tout cas je ne cherche pas à améliorer quoi que ce soit, je veux juste apporter ma pierre à l’édifice. Je suis un défenseur de la face cachée de la France et de la force créatrice de ma banlieue.

Pour en revenir au Kinoma, est-ce que tu as, rétrospectivement un coup de cœur sélectionné dans ce festival dont tu aimerais parler ?

Ah oui, j’en ai un. C’est le court-métrage « Barbara » de Yannick Privat projeté pendant l’édition 2015. Il y a reçu un prix de la meilleur actrice ainsi que le grand prix du jury. Il a ensuite été remarqué par la suite au festival Paris court devant, au Fifigrot, au festival du cinéma européen de Lille.

Je ne comprends pas que son exploitation n’ait pas mieux marché au-delà des festivals. Le réal est un mec mortel, un tueur. C’est ma plus grosse claque en termes de court métrage. Au premier abord, ça semble simple, ça commence doucement avec une galerie de personnages féminins qui discutent. Elles débattent entre elles et tu es complètement pris du début à la fin, car les personnages sont super bien caractérisés. Ça dialogue dans tous les sens mais tu comprends tout grâce à la mise en scène. C’est un exercice très difficile une mise en scène pareil. Peu de réalisateur y arrivent. Et la montée en puissance est incroyablement prenante jusqu’à un final qui te scotche à ton siège. Yannick est un tueur ! Et l’interprétation est également incroyable, casting parfait. Yannick a une sensibilité qui lui permet de comprendre ses actrices et obtenir le meilleur d’elles-mêmes. Il faut qu’on le laisse faire plus de films.

On a pas encore parlé de ton futur long-métrage Break mais tu sembles dire que ce sera une occasion de lier tes deux passions, à savoir la danse hip-hop et le cinéma. Qu’est-ce que tu peux nous dire, histoire de nous mettre l’eau à la bouche ?

Au sujet de « Break ». Disons qu’il s’agit de mon premier long métrage. Quand on y pense c’est un peu comme rencontrer la femme de sa vie.

 

je suis très fier du cinéma français et notamment de Jacques Audiard.

 

Le moment où on anticipe le divorce et la pension alimentaire ?

Non (rires), plutôt le moment où on passe par une phase de peur puis de bonheur avant de se mettre ensemble et que la vie devienne rose. Il faut savoir que Nynamor et SND, (co-producteurs et distributeur du film),  m’ont laissé carte blanche pour le casting. Ça m’a donné l’occasion de montrer de nouvelles têtes même si Sabrina (Ouazani) avait déjà une longue filmo, c’est peut-être une des rares choses dont on manque encore un peu en France.

En tout cas j’ai kiffé la phase de casting. Je suis tombé amoureux du casting. Ils remplissent toutes mes attentes. Dis-toi que les personnages sont inspirés de mes potes et de ma famille donc tomber sur les interprètes idéaux ça ne peut que te mettre dans un état second. J’ai été touché de voir un bout d’essais d’une scène très importante où les personnages ne se parlent pas de manière verbale, mais au moyen de la danse. C’était une scène dure émotionnellement et quand j’ai vu ces essais, non seulement la scène marchait mais en plus l’alchimie entre mes acteurs était présente et c’était parfait.

Et pour répondre à ta question, alors comment vous mettre l’eau à la bouche… ? Je dirais que c’est un film de danse fait par un ancien danseur, donc je peux vous assurer que vous ne serez pas déçu par la danse. Les scènes de danse sont explosives et authentiques et variée, il n y aura pas que du hip-hop.

Et si tu devais pitcher ton film en une phrase ?

C’est l’histoire d’une fille passionnée de danse qui part à la recherche de son père biologique et qui rencontre un danseur qui ne veut plus danser. C’est un film fait avec le cœur et interprété par une bande d’acteurs qui a tout donné et a qui j’aimerais rendre hommage.

Interview de Félicien Hachebé