Questionner et interroger le monde qui l’entoure, voici la belle promesse que s’est offerte le jeune réalisateur français, Guillaume Caramelle. C’est avec une grande subtilité qu’il nous parle aujourd’hui de son troisième film et de notre coup de coeur, « Je suis une nuit« .
Comme beaucoup de gens, je me sens très seul.
Bonjour Guillaume et un grand bravo pour votre film poignant, « Je suis une nuit ». Toute la magie de ce court métrage réside dans l’originalité du montage. Comment vous est venue cette idée d’histoire flash-back ?
Quand j’ai eu l’idée que le cadeau (thème de la 8ème édition du Nikon Film Festival) serait une jeune femme qu’un homme s’offrirait pour son anniversaire, j’ai cherché un moyen de conserver le mystère sur la véritable nature de leur rapport. Je souhaitais que le spectateur croie à une romance idyllique et dévoiler en dernière instance l’abîme de leur solitude. J’aimais l’idée qu’on envie d’abord les personnages et qu’on les plaigne ensuite…
Cette approche anti-chronologique m’a alors permis de repousser jusqu’au dernier moment, la révélation de la véritable identité d’Alex et du handicap d’Aurélien et ainsi d’amplifier l’effet de surprise. Ce qui était important dans la mesure où le Nikon Film Festival, par la durée qu’il impartit et du fait qu’il impose un thème (ce qui suppose que le spectateur ait déjà des attentes bien déterminées), consacre – d’une certaine manière – le genre du film-à-chute. Et pour en respecter les codes, il me fallait ménager le mystère autour de la relation qui lie ces deux personnages.
Enfin, en tant que scénariste et monteur, la narration inversée était une gageure très excitante qui m’obligeait à penser à ce qu’il s’était passé avant dans le récit en sachant que ça interviendrait après dans le cours de l’histoire.
Vous avez réussi en seulement 140 secondes, à nous transmettre tout un tas d’émotions comme la curiosité, l’incompréhension ou encore la tristesse. Comment vous y êtes-vous pris ?
La tristesse est inhérente au personnage d’Aurélien qui est mû par une sorte de mélancolie de la chair, de nostalgie de la puissance. Au contraire, Alex est une jeune femme pleine d’allant et assez positive. Mais s’ils ont bien un point commun, elle, l’étudiante pétillante qui fait occasionnellement commerce de son corps et lui, le don Juan cassé au charme décati, c’est qu’ils appartiennent – que ce soit par leur activité professionnelle ou par leur condition physique – à la marge de la société.
On survit à la marginalité en cloisonnant son monde intérieur. Chez les deux, il y a donc une forme d’impénétrabilité. Ce mystère qui les nimbe attise forcément la curiosité. Les angles de prises de vues, leurs valeurs, et le montage bien entendu participent également de la curiosité qu’ils peuvent susciter.
Quant à l’incompréhension, je ne sais pas… Les personnages sont des êtres vivants dans ma tête que je ne cerne jamais complètement.
Votre film aborde des sujets tabous au cœur de notre société, tels que la prostitution étudiante et le handicap. Pourquoi avoir choisi de parler de ces deux thématiques ?
D’aucuns auront certainement vite fait de condamner moralement la prostitution – dont la bien-pensance a fait un ennemi. Mais quand le handicap fait appel, quand le drame de la solitude sexuelle des invalides s’invite dans le débat, l’éthique que nous avions forgée alors, peut soudainement être battue en brèche et le discours se faire plus contradictoire. C’est cela qui m’intéressait. Contrarier le positionnement axiologique de la majorité. Aller à l’encontre de la doxa. Ainsi ce piège tendu au spectateur. On aurait vite fait de juger Aurélien dès lors qu’on apprend qu’Alex est une escorte. Mais quand on le voit vissé à son fauteuil, quand on comprend sa condition, on relativise. On l’excuse peut-être.
Cependant que le thème – si l’on peut l’appeler ainsi – de l’infirmité est arrivé plus tard. A l’origine, il s’agissait d’un handicap esthétique. Aurélien avait la moitié du visage brûlé au troisième degré. Je voulais faire en sorte qu’on ne le découvre qu’à la fin, en suivant un principe de mise en scène similaire. C’était davantage une réflexion sur la beauté perdue, la mutilation, la laideur comme pénitence… C’est mon comédien et ami, Baptiste Caillaud, qui m’a suggéré qu’Aurélien soit en fauteuil roulant, jugeant que la paraplégie exerçait un pouvoir d’identification plus fort. Je pense qu’il a vu juste.
Les personnages sont des êtres vivants dans ma tête que je ne cerne jamais complètement.
Le maître mot de « Je suis une nuit » est avant tout la solitude n’est-ce-pas ? C’était important pour vous de parler ouvertement de ce sentiment ?
Comme beaucoup de gens, je me sens très seul, malgré cet entourage inestimable qui me donne l’illusion de faire corps avec la société. Plus qu’un sentiment, c’est un état, une condition ontologique. Certaines activités professionnelles accentuent la façon qu’on a d’éprouver sa solitude. Les handicaps quels qu’ils soient également. L’aspiration au sublime aussi… De la solitude de l’artiste à celle des deux personnages, il y a une transposition inconsciente que je discerne maintenant. L’artiste est celui qui se cherche des handicaps (Michel Ange n’a-t-il pas dit que l’art naissait de contrainte) et qui parfois prostitue sa créativité pour remplir son assiette.
« Je suis une nuit » est votre troisième réalisation. Quels sont vos projets pour la suite ?
Je développe actuellement deux projets de longs métrages. Le premier, intitulé Petite Maman en Attente, s’intéresse à la procréation médicalement assistée et suit le parcours d’une femme qui veut un enfant d’un homme aux spermatozoïdes capricieux. Le second s’intitule La Fierté des sentiments et raconte la dérive de Loup, un musicien très médiatique qui découvre que la fille dont il est éperdument amoureux a tourné quelques films pornographiques quand elle était plus jeune.
Comment décrivez-vous votre passion pour la réalisation ?
Filmer est le meilleur moyen que j’ai trouvé de me questionner et d’interroger le monde qui m’entoure.
Si vous deviez définir votre univers en un mot, lequel serait-il ?
Nocturne.
