Interview : Natacha Thomas, une réalisatrice colorée

interview-de-natacha-thomas

Il était une fois une réalisatrice, à l’univers empreint de fantaisies. Natacha Thomas, jeune cinéaste en devenir, nous parle aujourd’hui de Red Tale, sa première œuvre esthétique et horrifique, actuellement en voyage dans de nombreux festivals dédiés aux formats courts. L’artiste se dévoile dans une interview emplie de couleurs !

Ce qui anime mes projets, c’est l’univers « sensitif ».

Bonjour Natacha. Pour ceux qui n’ont pas encore la chance de vous connaître, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?

Bonjour à l’équipe de Lars&Ruby ! Et tout d’abord merci de votre interview ! Je viens d’une formation un peu hybride, d’abord en cinéma et en art numérique et d’un master en communication. Après une expérience en tant que chef de projet en web agency, j’ai lancé une activité freelance principalement orientée « diffusion et relation presse » pour des projets cinéma. C’était, après ma formation et mon expérience professionnelle, le poste le plus « logique » me permettant de revenir au domaine culturel.

J’ai eu la chance de me voir confier des très beaux projets que j’ai pu suivre parfois de leur financement à leur dernière diffusion web. Quelques uns sont disponibles ici. Cette expérience m’a permise de rencontrer des réalisateurs passionnés, tous extrêmement talentueux et investis. Ce sont eux qui m’ont donné goût peu à peu à la production, où je concentre désormais mon activité. Les accompagner en diffusion n’était plus suffisant, j’ai commencé à intégrer le service développement créatif d’une jeune production sur le genre « fantastique » et je voulais investir plus de temps à permettre à de nouveaux projets d’exister. Et enfin, il y a un an, en marge de cette réorientation « production » j’ai eu l’occasion dépasser à la réalisation avec RED TALE qui est donc mon premier court métrage (hors court-métrage d’étude).

Le court-métrage « Red Tale » est donc votre première réalisation. Comment est né ce très beau projet artistique ?

RED TALE est finalement le résultat de la réunion de plusieurs « c’est le bon moment pour ». Je travaillais depuis quelques mois sur la mise en financement d’un projet mêlant des légendes urbaines avec l’univers lovecraftien, le projet me passionnait en production mais aussi en création pure, le sujet de fond également du projet était finalement aussi beaucoup trop personnel et à vif pour être confié à une personne extérieure. Donc il fallait se lancer et décider de le réaliser…

Mais, pour réaliser un projet qui vous tient à cœur, encore faut il se convaincre que l’on peut le faire. Et pour le savoir, un seul moyen finalement, essayer sur un projet plus court avec l’équipe que vous avez en tête. Le hasard a fait que l’on m’a proposé un clip en réalisation au même moment, ce qui a poussé encore plus cette idée de « tester la réalisation ». Le clip a permis de financer RED TALE et donc d’aller assez vite en production. Restait à trouver l’histoire… RED TALE a clairement une inspiration purement personnelle, de ma rencontre et mon ancienne (et très très lointaine maintenant) vie de couple avec mon propre Barbe Bleue, je ne pense pas le remercier pour autant… mais en tout cas il m’aura montré à quel point certaines relations peuvent être toxiques et aura ainsi donné la toile de fond du propos sur RED TALE. Le film puise également de cette ancienne idée : j’avais travaillé des années auparavant sur un projet d’œuvre collective de plusieurs réalisateurs masculins, livrant chacun sa vision d’un conte au thème extrêmement féminin : Le Chaperon rouge. Pour différentes raisons de budget, d’organisation, le projet est resté dans les cartons (malgré des idées splendides venant des différents intervenants), sauf pour un des films, celui de Hugues Flechard qui m’a d’ailleurs conseillé avec son talent de script doctor sur l’écriture de RED TALE. Cela fait donc quelques temps que le traitement du conte du chaperon m’intéresse. RED TALE utilise ces expériences et ces deux contes, qui m’ont touché pour différents symboles et qui me paraissent intimement liés dans leur fond : Le Chaperon rouge attirée par les secrets et le dangereux prédateur que représente Barbe Bleue pour ses femmes… Le plus long finalement dans la naissance du projet, a donc été de se décider à se « lancer » en réalisation… Après, j’ai été merveilleusement bien entourée au casting et à l’équipe, donc il n’y a eu plus qu’à faire.

 L’esthétisme et sa recherche occupent une place centrale dans mon travail de création.

Il s’agit d’un film à la fois sombre et poétique. Vous décririez-vous comme étant une passionnée du genre horrifique ?

Oui j’ai effectivement un lien avec le genre fantastique, horrifique. En diffusion et en production je m’oriente plus naturellement vers des projets liés au fantastique, à l’horreur. Donc j’y suis clairement sensible. Ce genre me parle plus qu’une comédie, d’abord par sa puissance narrative. Pour moi, ce « genre » au sens large se rapproche justement de l’univers des contes, des mythes et des légendes où une histoire totalement irréelle (où parfois la violence est extrême) sert de métaphore à des questions intimes, des peurs à accepter et à dépasser, voir des expériences à exorciser. Cette universalité des thèmes, dont traitent les films d’horreur, les plus remarquables marquent et laissent une trace. On ne se rappelle pas de Shining seulement parce que deux jumelles flippantes se tiennent la main dans un couloir, mais aussi, outre la maestria de Kubrick, sur l’imagination de King, parce que les sujets sont cruellement humains : la folie, la peur de ne pas être à la hauteur du père, l’enfermement, le repli face à l’échec. Shining nous touche parce qu’il va aller taper des questions intimes en nous, il va les questionner en les poussant à se réaliser, nous obliger à les intégrer en nous racontant une histoire d’ogre. Évidemment, bien d’autres genres utilisent cette métaphore narrative, c’est le propre de la fiction finalement… mais je reste plus sensible à l’univers graphique de l’horreur, du fantastique.

La photographie, teintée de bleu électrique et d’un rouge flamboyant, domine votre œuvre. Quelle place occupe l’esthétisme dans votre univers ?

Cela rejoint ce goût du genre, j’aime aussi énormément les métaphores visuelles et l’utilisation des « outils » esthétiques que sont les couleurs et la lumière, en priorité pour raconter une histoire. Je le répète assez souvent (aussi pour qu’un jour il reçoive le message) mais je suis en admiration devant le travail esthétique de directeur de la photographie comme Benoît Debie ou du travail sensitif d’un réalisateur comme Gaspar Noé. J’admire la façon dont ils parlent à l’instinct, à la sensation par leur esthétisme.

Pour moi la couleur amène obligatoirement avec elle, des symboles et donc un sous-texte plus ou moins lisible pour qui veut bien se laisser aller. Quant à la lumière, elle est l’essence même de l’ambiance, du ressenti d’une scène et donc du discours sensitif qu’elle fait vivre aux spectateurs. Deux paramètres essentiels dans la photographie de RED TALE par exemple, dans le fil les deux personnages utilisent la lumière, la couleur pour mener leur duel. Le Chaperon rouge cherchant dans un premier temps à amener Barbe Bleue dans son univers rouge pour espérer survivre aux secrets, face à un barbe bleue directif qui lui va ramener inlassablement la jeune femme dans sa lumière bleue jusqu’à la fin… L’esthétisme dichotomique du film est la métaphore même de la relation des deux personnages pour moi : une relation qui ne se mélange pas, ou presque, et où chacun tente de gagner le pouvoir sur l’autre, d’imposer son univers.

Je suis ravie de voir qu’on retient le travail de la photographie sur ce film, parce que je suis vraiment très fière du travail réalisé par l’équipe image sur le projet : des magiciens qui permettent de rendre réelle la sensation que vous souhaitez faire vivre, donc je profite pour à nouveau féliciter vivement l’équipe menée par le directeur de la photo Nicholas Kent avec à la lumière, Julien Brumauld, à la machinerie Vincent Campanella et à l’étalonnage Kim Marc Huynh. La recherche esthétique est primordiale pour moi, pour raconter une histoire de manière sensitive, surtout sur un projet sans parole, j’ai besoin que le spectateur sente le combat par les changements de couleurs, mais aussi la lutte par la précision des gestes, du placement des corps, les regards dans la chorégraphie que Sarah Bonrepaux et Ivan Gonzalez incarnent avec talent sur la musique de Alexis Maingaud. Tout devient important quand on recherche un esthétisme particulier, l’image évidemment, mais elle prend son sens parce que on a aussi des magiciens aux décors avec Anne Dallu Huet, au maquillage avec Johanna Vasilakis, à la création des mattepainting avec Olivier Gabriel Legrais. Donc l’esthétisme et sa recherche occupent une place centrale dans mon travail de création.

Je suis plus sensible à l’univers graphique de l’horreur, du fantastique.

Quels sont vos projets actuels ?

RED TALE a été tourné il y a quasiment un an jour pour jour et va vivre encore quelques mois en festivals, c’est vraiment motivant de le voir être sélectionné et diffusé, parfois primé même. Nous serons en avril au festival des premières fois à Grasse et en projection au Mexique et aux États-Unis, donc très heureuse de voir ce film continuer ses voyages ! En parallèle j’ai repris le projet série liant lovecraft et légendes urbaines, qui avait été mis en pause quelques mois et dans quelques jours, nous repartons avec une grande partie de l’équipe du film RED TALE pour tourner un deuxième court métrage musical, encore une fois assez coloré mais cette fois sur une nouvelle de Oscar Wilde. Pour la partie production de ma vie, de très beaux projets à discuter dans les prochains mois, proposés par des réalisateurs qui ont des ambitions créatives vraiment motivantes à accompagner et à faire naître !

Si vous deviez définir votre univers en un mot, lequel serait-il ?

Après un seul court métrage, il est encore un peu difficile de définir un univers en réalisation, et ça serait presque un peu « enfermant » pour l’avenir de le faire. RED TALE puise largement dans les codes du giallo mais le prochain, lui, puise plus dans le film noir et néo noir. On reste effectivement dans une même envie de couleurs, de lumières, de métaphores, de contes et je resterais, je pense, toujours sensibles à ces codes graphiques. Mais j’espère que chaque projet poussera un peu plus loin les envies graphiques, les envies de narration, dans ce sens on va dire, à l’instant T, ce qui anime mes projets c’est un univers « sensitif ».

Red Tale : Teaser