Un univers onirique, une démarche pédagogique et une passion dévorante pour les grandes périodes de l’Histoire, voici ce qui imprègne les films d’Arthur Domenigoni. À seulement 23 ans, cet auteur-réalisateur indépendant multiplie les courts métrages primés dans de nombreux festivals, avec une seule volonté : transmettre un message précieux sur le monde qui nous entoure. Rencontre.
Depuis que tu as lancé ta carrière en 2020, tu multiplies les courts métrages, avec parfois plusieurs réalisations par an. Où puises-tu toute cette inspiration ?
Ma première inspiration vient du cinéma, avec un certain attrait pour les grands classiques et les films anciens, notamment ceux des cinéastes Karel Zeman et de Lotte Reiniger (silhouettes des années 1920, NDLR). Je m’inspire aussi beaucoup de la musique et des expositions, surtout celles sur les peintres impressionnistes, comme Claude Monet ou Théodore Rousseau. Pour moi, ce sont des tableaux qui retranscrivent la beauté du monde et ses facettes. Enfin, je puise aussi mon inspiration dans ma vie privée et il n’est pas rare que je représente mes proches dans mes films.
En explorant tes films, on y découvre un fort attrait pour l’Histoire. Est-ce important pour toi d’avoir une démarche pédagogique ?
L’Histoire m’a toujours intéressée, surtout les figures mythiques de toutes les époques confondues. Si je n’étais pas devenu cinéaste, j’aurais sans doute exercé un métier en lien avec l’Histoire. Aujourd’hui, je pense avoir enfin trouvé un équilibre entre le fait de raconter mes films de telle façon et de mettre en lumière des moments historiques qui m’intéressent. Et je souhaite que cette démarche pédagogique se retrouve dans mes films, tout en montrant aux spectateurs de belles images avec mon propre style.
J’aime m’intéresser aux époques peu documentées, pour que le public puisse en apprendre davantage sur ce pan de l’Histoire. Mes films permettent de se questionner sur le monde dans lequel on vit. Je veux raconter quelque chose sur l’humanité, sur ce qu’on fait sur notre planète. Je veux qu’on sorte de mes films en ayant la certitude que j’ai transmis un message sur la paix, la guerre, le bien-être, ou tout simplement la vie.
Ton univers graphique est fortement influencé par celui de Michel Ocelot, à savoir une grande part de merveilleux et d’imaginaire mêlée au réel. As-tu été bercé par les grands contes de ce réalisateur ? Si oui, qu’en gardes-tu ?
Je suis amoureux du cinéma de Michel Ocelot et j’ai découvert très tardivement son premier film, Les Trois Inventeurs. À tout juste neuf ans, je découpais déjà des formes et je faisais des petits films à la manière de ce réalisateur. Le cinéma du toucher et du découpage papier m’a toujours plu. Je m’en suis bien sûr inspiré dans les silhouettes, mais aussi dans l’atmosphère. En ce qui concerne la filmographie de Michel Ocelot, j’ai une grande préférence pour Kirikou, car il a un côté interplanétaire très important dans le monde dans lequel on vit : sur la beauté de l’enfance, la vie et la tolérance.
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Cette comparaison avec Michel Ocelot est-elle pleinement assumée et ne crains-tu pas cette étiquette ?
Il y aura forcément une comparaison, parce que peu de cinéastes font de la silhouette. Cette influence est totalement assumée. Toutefois, c’est comme du Michel Ocelot, mais ce n’est pas du Michel Ocelot. La technique est différente, puisque je réalise des biopics et que ce sont des films historiquement vrais.
Je commence par écrire, je storyboard tous mes films, je choisis mes acteurs, et enfin, je tourne. En plus de ça, dans mon cinéma, ce sont de véritables acteurs qui incarnent les personnages à l’écran. On peut presque parler de théâtre d’ombre. Ils jouent avec toute sorte d’accessoires, et derrière eux, des décors oniriques s’animent. Ensuite, on couple avec des plans larges en animation. Pour moi, c’est quasiment de l’expérimentation.
Pour concevoir tes films, tu utilises des objets du quotidien que tu détournes de manière insolite. Peux-tu nous en dire davantage sur ce procédé de fabrication ?
J’ai toujours été fasciné par la simple idée de mélanger l’enfance à l’adulte. Dans mes films, j’utilise très souvent des objets du quotidien : des bouts de carton que je transforme en couteau, des longues-vues… Ça me plait, parce que ça ne coûte pas cher et c’est de la récupération. Parfois, je transforme des objets du quotidien, et d’autres fois, j’en crée de nouveaux avec toutes sortes de matériaux.
La plupart de tes courts métrages est avant tout un travail familial, puisque tu collabores avec ton frère, compositeur-DJ. Comment travaillez-vous ensemble ?
Avec Alexandre, ça maintenant fait dix ans qu’on travaille ensemble. Au début, il a commencé par ajouter de la musique sur mes premiers montages, et au fur et à mesure, on a continué l’aventure. Au final, mon frère a composé toutes les musiques de mes films. Parfois, je commence par l’écriture du scénario, puis il compose la musique au montage, tandis que d’autres fois, on cale le montage sur la musique.
Et enfin, sur Les Trois Chapitres, qui est mon dernier projet en date, la musique est composée à l’écriture du film. Alexandre a lu le scénario et ça l’a immédiatement inspiré. Il m’a beaucoup formé et maintenant, je suis capable de savoir ce que je veux pour telle ou telle scène. Dans tous les cas, la musique présente dans mes films doit toujours être narrative et embellissante.
Cette collaboration est-elle amenée à durer ?
La collaboration avec Alexandre est extrêmement forte et on a cette même volonté de réussir, de faire des films éducatifs et en même temps, qu’ils soient immersifs. La collaboration va donc perdurer, car on a beaucoup de projets ensemble. Il y a aussi une nouvelle façon de concevoir de la musique, parce qu’il a une manière bien à lui de composer. Cet aspect « question-réponse » entre musique et image, ça marche très bien dans nos films.
Peux-tu nous parler de ton triptyque intitulé Les Trois Chapitres ?
Ce projet est né en 2023, lorsque mon film Au-delà du vent j’irai touchait à sa fin. Je voulais faire un film sur l’Égypte antique, pour rendre hommage à cette période que j’affectionne. Comme son titre l’indique, il s’agit d’un triptyque dans lequel je raconte une histoire sur l’Égypte ancienne, appelée « Les voies du désert », et inspirée d’une scène de Dune. Puis, la seconde partie rend hommage aux pirates, et à ces films qui ont bercé ma jeunesse, avec pour inspiration Vingt Mille Lieues sous les mers. Enfin, l’ultime chapitre se consacre aux Amérindiens. Le fil rouge de ces trois volets est la Pierre de Rosette.
J’ai passé énormément de temps dans les bibliothèques à me renseigner, à vérifier l’exactitude de mes propos, j’ai sollicité de nombreux producteurs, et j’ai tourné une semaine dans un studio. Nous sommes en train de finir le film et il sera terminé d’ici à la fin du mois d’octobre. C’est actuellement le projet de ma vie et tout ce que je sais du cinéma y est présent. Pour moi, c’est une belle lettre d’amour aux Égyptiens, aux pirates et aux Amérindiens. Mais surtout, je veux que ce film serve à la culture de la France.
As-tu d’autres projets à venir ?
Je viens de finir un film sur l’Empire de Macédoine contre les guerres de l’Empire perse. C’est donc un biopic qui durera deux heures et c’est le premier documenté à 100 %. Au total, j’ai mis cinq à six mois à me renseigner sur Alexandre le Grand. Ça commence dix ans avant qu’il naisse, puis se termine dix ans après qu’il meurt. Il n’est donc pas uniquement question de cette grande figure historique, car je parle également de sa femme Roxane, de son amant, son père, et tous les personnages clés qui l’entourent.
Je songe aussi à réaliser un film sur l’histoire sur Zorro, avec peut-être un angle original. Et j’ai également pour projet d’adapter un livre pour enfants : Robert de Niklas Rådström, paru en 1996. C’est un livre que j’ai toujours aimé et il sera entièrement réalisé en silhouettes.
Si tu devais décrire ton univers en un mot, lequel serait-il ?
Imaginatif, onirique et engagé. Et peut-être personnel, pour ajouter encore un quatrième mot.