La jeune réalisatrice québécoise Audrey Nantel se confie sur son premier court métrage, Shirley Temple, notre coup de cœur pop de cette fin d’année ! Rencontre avec une artiste assoiffée de créativité…
Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi et sur ton parcours cinématographique ?
J’ai terminé mon baccalauréat en réalisation cinématographique à l’UQÀM en 2018, donc il y a maintenant un an. Contrairement au mythe du réalisateur qui rêve d’Hollywood depuis ses sept ans et qui tourne des films en mini-DV depuis ses sept ans et demi, je ne me dirigeais pas vraiment vers ça à la base. J’étais un peu perdue, pas parce que je n’aimais rien, mais plutôt parce que j’aimais trop de choses. Je savais juste que les sciences c’était non et que j’adorais tout ce qui était écriture/art/culture. Ça m’a amené en communication au cégep du vieux-Montréal, où j’ai réalisé deux petits films. J’ai trippé.
C’est sans me poser de question que j’ai continué. Je ne me restreins pas au cinéma, j’aime (attention, ennemi) la pub et beaucoup d’autres domaines. En fait, j’aime tout ce dans quoi je peux être créative. Pour le moment, c’est le cinéma qui me passionne, puisqu’il a le pouvoir, la magie, de rassembler tout ce que j’aime le plus dans la vie et je crois que c’est une pas pire raison pour en faire. Pour la suite, qui sait…
En 2018 tu réalises ton film de fin d’études, Shirley Temple, un court métrage ultra positif sur l’amitié féminine. Comment est né ce scénario plein de fraîcheur et de vie ?
Fun Fact, le film que j’avais soumis et qui avait été sélectionné par les profs à la base, portait sur une vieille dame (ma voisine du haut à l’époque) et sur le bonheur des personnes âgées. Elle avait une quête en lien avec Bruce Lee, dont elle était et est toujours sans doute la plus grande fan. Deux semaines avant le tournage prévu, elle est tombée, s’est gravement blessée, a quitté le bloc pour se faire opérer et aller en centre de réhabilitation. En ce qui à trait au bonheur des personnages âgées, on repassera…
J’ai donc totalement changé de cap et ai tenté de soumettre une nouvelle proposition aux professeurs. J’avais plusieurs idées de sujets, mais rien dont je ne sois déjà proche et avec quoi je puisse creuser de manière personnelle en un temps aussi restreint. Comme je connaissais déjà un peu Amaryllis et Margot d’un précédent projet et que l’adolescence me drivait particulièrement comme moteur de création, j’ai plongé là-dedans. La fraîcheur et le côté pop du film viennent d’elles ; c’est toujours très important pour moi de non seulement respecter mes personnages, mais de carrément puiser dans ce qu’ils dégagent pour transmettre cette essence dans le film et le faire vivre, plutôt que de le théoriser.
Je crois que des films sur l’adolescence, sur le coming of age, il y en a beaucoup, mais qu’ils sont rarement vraiment bons. J’en ai regardé beaucoup avant de faire mon film, et je sentais toujours un point de vue très moralisateur sur la jeunesse, qui, certes, a ses moments de naïveté, mais comporte également de grands élans de liberté, de désir, de beauté. J’ai eu envie de faire un film qui ferait vivre au spectateur la jeunesse actuelle, en même temps qu’il le transporterait dans ses propres souvenirs. Redevenir un ado durant 16 minutes, en quelque sorte.
En cinéma, je me rends compte que l’adolescence me « drive » beaucoup, parce qu’elle me permet de faire naître des personnages à la fois fougueux et sensibles, déterminés et incertains. Des personnages dans un entre-deux, un non-lieu, un non-temps, où tout se passe et rien à la fois. C’est un terrain où tout me semble permis à partir du moment où on se laisse, comme créateur, porter par les émotions fortes que cette période procure. Rien de pire qu’un film sur la jeunesse où on sent l’adulte derrière.
Tu parles de l’adolescence et du passage à l’âge adulte, des premières fois et des relations mère-fille. Shirley Temple est-il un peut le fruit de ta propre expérience ?
Nécessairement, oui. Ça a été un travail de collaboration avec les filles pour aller chercher des scènes clefs de l’adolescence et ça, je ne crois pas que ça change tellement d’une génération à une autre. Mes amitiés féminines ont été – et sont toujours – extrêmement déterminantes dans ma vie, dans la manière dont je me suis développé et dans mes perceptions en général. Le film est une ode à l’amitié d’Amaryllis et de Margot, mais plus largement à l’amitié féminine en général – qu’elle concerne l’amie ou la mère.
Amaryllis Tremblay et Margot Blondin inondent l’écran de leur fraîcheur et spontanéité ! Ces rôles leur collent totalement à la peau et donnent l’impression qu’il y a une très grande place pour l’improvisation dans ce film. Comment s’est déroulé le tournage ?
En fait, ça leur colle autant à la peau parce que… c’est un documentaire ! Dès le début, j’ai voulu donner l’impression d’une fiction. Mon pari était le suivant : « Je veux que le film soit tellement l’fun à regarder qu’on croit que c’est une fiction » (les gens ont souvent tendance à associer le plaisir à la fiction et l’apprentissage au documentaire…). Jusqu’à maintenant, ça a l’air de fonctionner, parce que beaucoup de gens félicitent les filles pour leur jeu très naturel.
Mais même un docu, ça peut facilement avoir l’air totalement faux. On a passé beaucoup de temps ensemble hors caméra et j’ai rapidement amené ma directrice photo (Sarah Salem) à nos rencontres. J’ai l’impression qu’en docu (ou en fiction) le ou la réal est très près du sujet, mais que le reste de l’équipe est parfois tenu à distance. Je crois que pour aller chercher la proximité que je voulais à l’écran, c’était nécessaire que les filles deviennent à l’aise avec la personne qui pointerait éventuellement une caméra vers elle, à quelques pouces de leur visage.
L’équipe était entièrement féminine, ce qui a nécessairement favorisé la mise en place de la bulle d’intimité dont on avait besoin pour faire éclore la féminité à son état le plus naturel, simple et vrai. On tournait avec des objectifs fixes et ma directrice photo valsait avec les sujets dans l’espace (et moi un peu aussi, entourloupée dans les fils du moniteur…). Quand on est en gros plan (et ça arrive souvent), c’est qu’on est réellement très proche, physiquement parlant.
C’est quelque chose qui aurait pu nuire au naturel de certaines personnes, mais dans le cas d’Amaryllis et de Margot qui jouent dans la vie et qui ont étudié en théâtre, j’ai l’impression qu’elles nous sentaient aussi investies qu’elles dans le moment et dans ce qu’on faisait. Ça s’est passé dans une très grande compréhension de l’autre – autant de leur côté que du nôtre – et dans un grand respect. Rapidement, elles nous ont intégré à leurs mouvements et nous oubliaient complètement ou, du moins, nous acceptaient assez dans leur dynamique pour ne pas y apporter de changement.
La photographie occupe une place importante : les images sont soignées, les couleurs réfléchies et les plans s’enchaînent harmonieusement. L’esthétique semble jouer un rôle majeur dans ton travail, n’est-ce pas ?
Très ! Quand je regarde un film, je ne place jamais l’esthétisme au dessus du contenu, mais je crois qu’un très bon film arrime les deux. Et attention, esthétisme ne veut pas dire Beaux-Arts, j’adore les trucs « laids », du moment qu’ils deviennent beaux avec le propos. Rendu là, je crois que c’est une question de style et de bon goût. Avec Shirley Temple, Sarah (D.O.P.) est embarquée avec moi dès le début du processus. Elle me faisait 100% confiance, et moi aussi. On a tellement parlé en amont de ce qu’on voulait et de comment je le voyais, non seulement esthétiquement, mais aussi narrativement, qu’on était un peu dans le même cerveau à la fin.
Ça a été une super collaboration, et on retravaille ensemble sur le prochain film avec autant d’investissement. On s’envoie chaque jour des photos qui nous inspirent ou qui nous touche et, à la longue, on se créé un bagage d’images, dans lequel chacune apporte à l’autre et se nourrit. Quand vient le temps de tourner, le fait d’avoir travaillé à obtenir des référents communs facilite grandement notre communication. Et, simplement, je suis très perfectionniste, ça me prend du temps m’habiller le matin et je remarque les détails qui clochent ou qui fonctionnent. Je ne vois pas pourquoi ça serait différent avec mes films.
S’agit-il pour toi d’un film féministe ?
Ah, la grande question ! Pour moi, c’est un film féministe, sans en être un… Plus un film féminin contemporain qu’un film féministe. La nuance est mince, mais je n’ai jamais pensé ce film d’un point de vue politique. Je ne me suis jamais dis que je devais dire telle ou telle chose. J’ai suivi des personnages, en l’occurrence des filles, des femmes, qui désirent des choses, se remettent en question et prennent position sur ce qu’est et ce que sera leur vie.
Pour moi, c’est ce que les femmes sont, c’est normal, ce n’est pas féministe d’avoir du poil en dessous des bras, c’est juste un choix personnel tout à fait valable, comme le fait de se raser l’est. Ensuite, dans le monde dans lequel on vit et les représentations de la femme qu’on est habitué de voir au cinéma, ça devient rapidement féministe de voir une femme avec du pouvoir. Et je suis féministe ! Mais quand « Shirley Temple » est (souvent) classé comme film féministe en festival, la féministe en moi remet un peu en question le fait de penser que de montrer des femmes fortes à l’écran devienne nécessairement une cause politique, plutôt que de voir le film pour ce qu’il est : un film sur les relations humaines, sur l’amitié, sur l’amour.
Ça fait qu’encore une fois, on regarde les femmes pour leur condition de femme, plutôt que de regarder ce qu’elles ont à dire en soi, peu importe leur genre. Ensuite, ça dépend toujours de la manière dont on défini le féminisme, mais là on risque de tomber dans le piège du relativisme…
Depuis quelques temps, le cinéma québécois connaît un fort essor en France. Spontané et naturel, il se retrouve de plus en plus dans les festivals de courts métrages et séduit un large public. Selon toi, qu’est-ce qui explique ce vif intérêt ?
Ça, je crois que ça serait plus aux français de nous le dire. Ce que je peux dire, moi, c’est que le cinéma québécois tend à changer et ça me plaît. On voit de plus en plus d’affaires punchés, qui s’ouvrent sur le monde et qui arrêtent de se limiter aux longs hivers froids près du Fleuve Saint-Laurent. Je sens qu’on a de plus en plus le droit d’avoir du plaisir avec nos films et le plaisir, ça transparaît toujours à l’écran (même dans la douleur…).
Quels sont tes projets futurs ?
Je ne veux pas me jinxer mais je travaille présentement sur un projet de court documentaire avec l’Office National du Film (ONF). On devrait commencer à tourner en décembre 2019, dans les bars de quartier… Disons seulement qu’on a bu beaucoup de Labatt ’50 en repérage et que notre nouvelle BF’ s’apelle Jo-Ann. Ensuite, ça sera une fiction, parce que j’adore diriger des acteurs et que ça me manque. Je crois. Ou un docu. Ou un docu-fiction… J’y travaille !
Si tu devais définir ton univers en un mot, lequel serait-il ?
Intime ? Je crois que la clef, c’est que j’observe énormément et j’attends de connaître mon sujet assez bien pour savoir qu’en disant telle chose, il réagira de telle manière. Je cherche les détails et l’individualité dans les relations. Très différent, par exemple, de l’œuvre de Jean-François Caissy qui dépeignent davantage une réalité à travers un groupe (des films excellents, d’ailleurs, mais très éloignés de ma manière de travailler). En tout et pour tout, j’écris mes documentaires comme on écrit de la fiction : avec des personnages, des actions, des lieux. Et de ça, un sens se dégage, un angle, un sous-texte. Jamais l’ordre inverse.