Interview Aurélien Vernhes-Lermusiaux : Sur les traces d’un cinéaste

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En un temps record, Aurélien Vernhes-Lermusiaux a su donner le meilleur de lui-même. Le réalisateur nous explique comment Les vies de Lenny Wilson s’est imposé de manière inattendue sur la scène nationale, jusqu’à la porte d’entrée des illustres César.

 

 

Je crois que le court métrage est nécessaire pour questionner, expérimenter et nourrir son travail.

 

 

Bonjour Aurélien. Votre court métrage Les vies de Lenny Wilson figure parmi les 24 films de la Sélection Officielle Court Métrage au César 2019, qui a eu lieu ce vendredi 22 février. Comment avez-vous vécu cette sélection ?

Nous étions très enthousiastes de cette nouvelle qui vient récompenser un travail et un investissement total. Le film n’a bien sûr pas été pensé dans la perspective première d’obtenir des récompenses, mais elles sont évidemment réjouissantes quand elles arrivent. De plus, je trouve que cette sélection valorise aussi les équipes qui ont travaillé sur le projet, c’est-à-dire l’ensemble des acteurs et des techniciens qui ont porté la proposition de son premier souffle à sa finalité. Tout le monde s’est grandement réjoui de cette nouvelle.

Dans une interview précédente, vous avez révélé l’origine de ce court métrage et le fait qu’il n’aurait finalement pas dû exister. Pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse de ce film ?

En effet, « Les vies de Lenny Wilson » est un film qui n’était pas prévu. Cependant, je ne crois pas au hasard et s’il est là aujourd’hui c’est qu’il devait trouver sa place et prolonger les recherches mises en place dans mon travail de création. Je devais réaliser mon premier long métrage de fiction dont le tournage a été décalé très tardivement. Cette situation a provoqué beaucoup de frustrations et avec mon producteur, Julien Naveau, nous avons donc décidé de faire un court métrage pour garder l’impulsion en cours. Nous avions cependant une grande contrainte qui était de devoir faire le film dans un temps très réduit car il ne fallait pas nuire à la conception du long métrage qui restait en préparation. « Les vies de Lenny Wilson » s’est écrit en une poignée de jours et il s’est fabriqué en quelques courtes semaines. C’était une énergie singulière, construite comme un « geste furtif ». Cela a été une manière différente de penser et de fabriquer un film, presque dans l’urgence et avec pas mal de contraintes à la source, mais le plaisir était tout aussi présent !

Comment vous y êtes-vous pris pour réaliser ce beau court métrage d’une vingtaine de minutes, dans un temps très réduit ?

Dès le départ, je connaissais les difficultés qui allaient être les nôtres. Nous devions avancer avec un budget réduit, et donc forcément un temps de travail qui allait être particulièrement serré. Le film s’est tourné en 3 jours, 1 journée pour le casting, 1 journée pour le hall et 1 nuit pour le plan séquence. Je n’aime pas écrire un film en prenant en compte ce genre d’élément, mais cette fois – avec le tournage de « Vers la bataille » qui allait arriver vite – nous n’avions pas le choix et il fallait pouvoir travailler correctement en un temps limité. J’ai donc gardé en tête certaines contraintes afin de ne pas fragiliser le projet, mais surtout je l’ai construit à partir de ces contraintes-là. Je les ai utilisées pour créer une envolée et me mettre dans d’autres dispositions de travail. Malgré l’urgence dans laquelle nous l’avons conçu, je suis resté très vigilant sur la nécessité de stimuler mes recherches. C’était primordial pour moi de continuer à expérimenter et à me confronter à des processus narratifs et des esthétiques différents. J’ai aussi eu la chance de travailler avec des collaborateurs qui étaient totalement lucides sur la manière dont le film allait se faire, ils ont su s’adapter à nos conditions afin d’apporter le meilleur.

 

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Aurélien Vernhes-Lermusiaux en compagnie de Benjamin Siksou et Sigrid Bouaziz.

Les vies de Lenny Wilson est une réalisation qui se focalise principalement sur les émotions des deux personnages principaux, incarnés à l’écran par Benjamin Siksou et Sigrid Bouaziz. Comment s’est déroulé le casting de ce film ?

Je connaissais le travail de Sigrid que j’avais vue dans différents projets au cinéma et au théâtre, et j’ai découvert Benjamin également dans un film où il m’avait beaucoup intrigué. J’avais déjà travaillé avec Thomas de Pourquery qui joue le personnage d’Elvis, il était le rôle principal de mon précédant film « Les Photographes ». Dès le départ, je voulais travailler avec des « figures » des présences un peu atypiques. J’apprécie Benjamin, Sigrid et Thomas car ils ont des corps singuliers, leur démarche est chaloupée, leur regard cache des sensations profondes, leur manière de s’exprimer est très musicale… Dès le départ, j’ai écrit en pensant à eux trois et j’ai eu la chance qu’ils acceptent tout de suite. J’ai rencontré Benjamin et Sigrid rapidement. Ils ont tout de suite adhéré à la proposition et ont été très investis. Le film est ce qu’il est aujourd’hui grâce à leur disponibilité qui ont permis les nombreuses répétitions nécessaires au bon déroulement du projet. L’énorme travail qu’ils ont fourni en amont nous a permis d’avoir un peu plus de souplesse lors du tournage et d’essayer de porter plus haut les enjeux premiers, quitter un langage prédéfini pour tenter de toucher un état et créer des sensations…

 

 

C’était primordial pour moi de continuer à expérimenter et à me confronter à des processus narratifs et des esthétiques différents

 

 

Aujourd’hui encore, on a tendance à considérer le format court comme un véritable tremplin vers le long. Rejoignez-vous cet avis ?

Je ne sais pas si c’est un véritable tremplin. Je le pensais, mais je n’en suis plus si certain aujourd’hui. Je crois que le court métrage est nécessaire pour questionner, expérimenter et nourrir son travail. Je pense qu’il aide plus à comprendre les outils, se sensibiliser à une écriture et à une équipe, mais je ne suis plus si sûr que cela soit indispensable, même si je crois qu’il ne faut pas faire de longs sans avoir fait de courts. Le court métrage nous donne des armes et nous permet de comprendre et d’intégrer un processus de fabrication, après ce n’est pas parce que vous avez fait des films courts que vous basculerez automatiquement au long métrage. La route n’est pas si droite, elle est parfois plus sinueuse. En tout cas, je ne pense pas que cela soit indispensable, mais cela me paraît nécessaire ! Et puis, il ne faut pas négliger que le court métrage est un format qui est fait d’œuvres exceptionnelles. Certains réalisateurs préfèrent son format et sa durée plutôt que l’étendu du long métrage. Je ne sais pas le nombre de films que je ferai dans le futur, mais il est évident que je ne tire pas un trait sur le court métrage et que je continuerai à faire certains films, avec des durées différentes.

Justement, vous vous êtes lancé dans la réalisation de votre premier long métrage avec Vers la bataille. Pouvez-vous nous en dire plus à propos de ce film qui se déroule au Mexique dans les années 1860 ?

En effet, je suis actuellement en post production du film que nous avons tourné en Amérique du Sud en mai, juin de l’année dernière. « Vers la bataille » est un film qui se déroule au milieu du 19ème siècle et qui conte l’histoire de Louis, un photographe français parti accompagner l’armée française au Mexique. Sur place, sa mission va se révéler bien plus compliquée que prévue et elle va avoir des répercussions indicibles sur l’homme. Je ne vais pas trop en dévoiler ici, mais vous invite à le voir à sa sortie dans quelques mois. Je peux juste vous dire que malgré le contexte, il ne s’agit pas du tout d’un film historique dans ses enjeux et dans sa forme.

Si vous devinez définir votre univers en un mot, lequel serait-il ?

« Trace » me paraît le mot le plus adapté. Il met en avant quelque chose qui m’est très cher et qui je crois rode en permanence dans mon travail à différentes échelles. Les « traces » laissées que nous retrouvons, que nous nous réapproprions, ou qui parfois simplement nous hantent. Je suis souvent très troublé par la vision même microscopique d’éléments qui nous entourent et qui sont la mémoire, le souvenir de ceux qui ne sont plus. Cela peut-être un objet, un vestige, un mot ou simplement un souvenir… J’aime interroger ce qu’il reste en nous, de ceux qui ne sont plus et comment à partir des « traces » laissées nous nous construisons en tant que personne.

 

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Aurélien Vernhes-Lermusiaux