Interview Adriana Soreil : « Écrire implique de se mettre un peu à nu »

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À travers ses histoires mêlant délicatement le drame à la comédie, Adriana Soreil revendique fièrement son féminisme. La scénariste et réalisatrice revient dans une interview exclusive sur son amour pour l’écriture…

 

 

Pour écrire, je pense qu’il faut aussi vivre à côté.

 

 

Diplômée de La Fémis en 2012 au département scénario, tu inventes depuis plusieurs années des histoires uniques pour le cinéma. Comment est née cette vocation pour l’écriture scénaristique ?

Vers 12 ans, j’ai commencé à voir beaucoup de films car mon père s’était abonné au satellite. Il habitait à la campagne et à cet âge-là, je trouvais ça un peu ennuyeux. Quand j’arrivais chez lui le week-end, je me jetais sur le programme du mois et je cochais tous les films que j’aurais le temps de voir en deux jours. Il m’avait également abonné à Première. J’aimais lire les critiques et collectionner les petites affiches de film cartonnées à la fin du magazine. Avec ma mère j’avais la chance d’habiter le centre-ville de Dijon, où il y a beaucoup de cinémas, dont certains d’arts et essais qui projettent des films en VO. Donc quand je repérais des sorties qui m’intéressaient dans Première, j’étais à peu près sûre de pouvoir les voir ensuite. C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser au cinéma. Au début je voulais être critique. Mais j’étais très littéraire et un jour un ami au lycée m’a dit « Tu voudrais pas être scénariste plutôt que critique ? C’est quand même plus cool de faire plutôt que de commenter ». Ça me faisait peur car écrire implique de se mettre un peu à nu, mais j’ai décidé de tenter ma chance. J’ai donc fait une prépa littéraire (Hypokhâgne- Khâgne) à Dijon, puis j’ai fait deux licences à Paris III Sorbonne-Nouvelle en Anglais et Cinéma. Après la prépa, c’était un peu la récré ! J’ai adoré mais j’ai compris que ce serait dur de devenir scénariste en restant à la fac. Mes deux licences en poche, j’ai alors tenté ma chance au Conservatoire Européens d’Écriture Audiovisuel et à la Fémis en scénario. J’ai été miraculeusement reçue aux deux concours, et j’ai choisi la Fémis.

Où puises-tu toutes ces idées ? T’inspires-tu de ton propre vécu ou bien aimes-tu laisser libre cours à ton imagination ?

Souvent c’est un mélange de mon propre vécu ou ressenti, et de choses que j’ai soit lues ou entendues. La Fémis nous apprend à faire du cinéma d’auteur, c’est-à-dire de toujours faire un cinéma personnel, même lorsque l’on écrit des films de genre ou que le personnage principal paraît loin de nous. C’est de cette manière que je procède. Pour écrire, je pense qu’il faut aussi vivre à côté. Mon expérience de mère, malgré tout ce que ça implique comme contraintes au niveau professionnel, a par exemple clairement nourri mon travail.

Ton film de fin d’études, Hier j’étais deux de Sylvain Coisne, est inspiré d’une histoire personnelle. Ton métier de scénariste est-il justement pour toi une manière de libérer tes émotions au travers de l’écriture ?

« Hier j’étais deux » n’est pas mon film de fin d’études. C’est un court-métrage qui a été fait dans le cadre de la formation continue des producteurs européens, qui organise un partenariat entre l’école de Ludwigburg, la Fémis et Arte. Tous les ans, un thème est donné, les scénaristes des deux écoles proposent des scénarios et les producteurs de la formation choisissent une histoire qu’ils ont envie de développer, puis une équipe pour mener à bien le projet. J’ai répondu trois années de suite à ces appels à projets, et j’ai eu la chance d’être sélectionnée trois fois. « Hier j’étais deux » est le troisième film né de ce cadre.

Évidemment, lorsque j’écris c’est un peu une thérapie accélérée. En réfléchissant à la trajectoire de mon personnage principal, qui va surmonter des épreuves, c’est un peu comme si je les surmontais moi aussi. C’est un jeu savant entre aborder des problématiques qui me sont propres et construire des personnages qui ne sont pas calqués sur mon expérience, ce qui m’obligerait à me dévoiler trop. « Hier j’étais deux » m’a permis de faire le deuil d’une histoire d’amitié très fusionnelle dans mon adolescence.

Scénariste mais également réalisatrice, Pompon Girl est ta première réalisation derrière la caméra. Le film traite du harcèlement de rue et la reconstruction post-traumatique des victimes. Pourquoi as-tu choisi de traiter de ce sujet ?

« Pompon Girl » est né de la peur et de la déprime que j’ai ressenties après la naissance de mon fils. J’avais soudain l’impression que faire un enfant dans le monde d’aujourd’hui était l’acte le plus égoïste qui soit, alors que je ne m’étais jamais posée cette question en amont. La violence ambiante, que je me prenais de plein fouet, me donnait moi-même des pulsions d’agressivité, sûrement par instinct de protection. Et je trouvais cette dynamique intéressante car la violence est rarement un trait de caractère féminin. Parallèlement, j’avais bien conscience que toutes mes amies, moi y compris, avaient subi du harcèlement de rue ou des agressions et que c’était intégré comme une donnée à prendre en compte quand on sort. J’ai donc eu l’idée d’imaginer un personnage qui se poserait les mêmes questions que moi, mais bien plus tôt, au début de sa grossesse, en étant confrontée brutalement à la violence. Cette trajectoire personnelle me permettait de traiter plus généralement du sexisme et de la place de la femme dans la société, du rapport à son corps, des rôles qu’on lui assigne, et de l’absurdité de certaines situations. Car je savais que cette histoire pouvait tomber dans le pathos, et je voyais très bien quelles ruptures comiques je pouvais apporter sur ce sujet.

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En réfléchissant à la trajectoire de mon personnage principal, qui va surmonter des épreuves, c’est un peu comme si je les surmontais moi aussi.

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Ce premier passage derrière la caméra a-t-il réveillé en toi l’envie de continuer à écrire et réaliser tes propres films ?

Réaliser est à la fois génial, car ça permet d’aller au bout de ce qu’on a en tête, et à la fois c’est une violence pour une personne comme moi qui adore vivre dans ses pensées sans toujours devoir se confronter à la réalité. Mais quand tout se passe bien, réussir à voir en chair et en os, en couleur et en mouvement ce qu’on a imaginé, est assez magique. Car écrire pour quelqu’un d’autre c’est souvent accepter qu’on a pas exactement la même vision et qu’on aurait pas cadré de cette manière ou dirigé les comédiens ainsi.

Donc oui, définitivement j’ai envie de continuer à réaliser mes projets les plus personnels, je prépare d’ailleurs un prochain court métrage, mais je n’ai pas envie de faire que ça. Car quand on écrit on peut imaginer et travailler sur plusieurs histoires en même temps. En réalisation c’est impossible, on est contraint de se dédier entièrement à un seul projet à la fois. Je suis trop boulimique d’histoires et j’aime trop collaborer avec d’autres auteurs pour n’écrire que pour moi.

Si tu devais définir ton univers en un seul mot, lequel serait-il ?

J’ai droit à deux mots ? Dramédie féministe.