Interview Alexandre Dostie : « Je n’ai pas étudié le cinéma, j’ai besoin de choses qui me parlent »

Rencontre avec Alexandre Dostie, le réalisateur du polar rural Je finirai en prison, salué à Sundance et sélectionné à la 42e édition du Festival de Clermont-Ferrand.

Quand as-tu terminé Je finirai en prison ?

Il y a un an à la fin de novembre 2018.

J’ai vu que tu es réalisateur, musicien et chanteur en même temps ?

Oui enfin, j’suis pas très bon musicien mais j’ai longtemps eu un groupe punk dans lequel je performais, c’était très physique, je pense que c’était là où j’étais le meilleur.

C’est pour cette raison que tu choisis des musiques un peu spéciales dans tes films ? Dans Mutants  tu a pris une chanson d’un groupe qui s’appelle « Vent du Mont Schärr» ?

Oui un groupe punk québécois des années 80 qui était dans l’underground mais qui est aujourd’hui assez obscur. C’est dommage, c’est à mon avis un grand groupe oublié du Québec.

C’est de la musique qui te parlait, qui t’inspire ?

Oui, je viens d’un milieu où la tradition orale est très forte, même dans la musique. J’aime bien qu’on me raconte quelques chose. Chez « Vent du Mont Schärr » il y avait ça entre autre et dans le film, le morceau qu’ils jouent quand elle conduit le pick-up s’appelle Je finirai en prison. C’est ce qui a donné le titre au film et ça aussi c’est très raconté, j’aime cette tradition orale québécoise. Je n’ai pas étudié le cinéma, j’ai besoin de choses qui me parlent.

Alors le titre du film vient bien de cette chanson chantée par un chanteur un peu incroyable, André Guitare  ?

Oui exact, en fait à l’époque où on montait Mutants on écoutait beaucoup de musique avec mon monteur Stéphane Lafleur pour bâtir la trame sonore. C’est quelque chose de très important dans mes films. On a beaucoup de plaisir à découvrir de la musique et un jour, je suis tombé sur ce morceau que j’ai fait écouter à Stéphane, qui est aussi réalisateur (NDLR Continental, Un film sans fusil, En terrains connus, Tu dors Nicole…) et il a fait soudainement : « Oh mon dieu j’veux mettre ça dans mon film ! » et j’lui ai dit : « Non non non, ça c’est à moi ! »

Alors dans le fond, c’est peut être pas ça qui a été la bougie d’allumage de mon film, mais c’est comme si c’était déjà quelque part dans ma tête, quand l’histoire de Je finirai en prison s’est déployée, je me suis dit « Ho my god ça marche tellement avec ce morceau d’André Guitare », donc ça a bien collé à ce moment là !

Peut on dire que Je finirai en prison est un film de genre ? Ce n’est pas juste un drame, c’est plus un polar rural. Ça commence comme un road movie assez inquiétant, déjà avec Mutants on était dans le film de genre, c’est un cinéma identifié que tu aimes réaliser ?

Ce que j’aime, c’est les gens qui se donnent la peine de vivre leur vie et de se mettre dans des situations risquées, inattendues ou imprévisible. Car quand tu fais ça dans ta propre vie, elle devient hybride, c’est plus juste la vie normale, routinière ou attendue, le « genre » va infiltrer, s’infiltrer et puis j’ai toujours suivi mon instinct, j’aime me mettre dans le trouble, j’aime faire des choses que je n’ai jamais fait avant, j’ai pleins d’histoires à raconter à cause de ça.

La réalité qui est dépeinte dans Mutants ou Je finirai en prison c’est quelque chose qui est pour moi potentiellement réaliste. J’ai l’impression que des choses qui sont grotesques ou « over the top », quand on se met en danger, ces choses là arrivent pour de vrai, c’est peut être ma vision de la réalité, c’est peut être très concentré mais ça ne me dérange pas que l’on appelle ça film de genre, au contraire, si ça peut être un argument pour que le public s’intéresse plus aux films tant mieux !

On est presque dans le fait divers à un moment du film, on se retrouve dans l’intimité de cette femme qui à une vie horrible et puis tout bascule au moment où elle est libérée.

Oui, c’est des moments où la réalité dépasse la fiction. On est tous témoins de cela dans nos vies, pour certaines personnes ça n’arrivera peut être jamais mais je pense qu’on a tous une fascination pour ces instants là, lorsque l’on nous raconte une histoire et que la réalité dépasse la fiction, le documentaire, le podcast sont très forts pour cela aujourd’hui. Souvent on approche des sujets par des aberrations de la réalité, c’est ce qui m’intéresse.

On a affaire à un personnage assez troublant dans Je finirai en prison. C’est le vieux chasseur dans sa voiture, il est témoin et transporte deux proies sur son toit. On ne peut s’empêcher de penser à une scène sortie d’un film des frères Coen, ce personnage a un coté trouble qui amène un moment de flottement dans le film. Pour moi, c’est le révélateur, le moment où le film bascule, le film change de registre à cet instant-là. Es-tu également influencé par ce cinéma, Fargo ou encore Affliction de Paul Schrader ? Dans tes deux films, les histoires se déroulent dans des petites villes de province où certains personnages détiennent un secret, une chose à cacher. Dans Mutants il y a la liaison qu’entretient le coach avec la mère d’un des élèves, dans Je finirai en prison, il y a un meurtre qu’il faut cacher, les deux protagonistes, tueur et témoin deviennent complices. Ce sont des thèmes que le cinéma Américain affectionne particulièrement.

Les frères Coen oui effectivement, je les ai découvert avec The Big Lebowski. C’était la première fois que je voyais un film qui aurait pu être très « pop », très « Main Stream » mais qui en plus amenait un propos un peu plus nuancé, plus subtil, plus dérangeant, moins direct. Il y avait un humour, un contraste, des émotions, tu ries mais en même temps tu trouves ça pathétique, épouvantable… En tout cas, c’était la première fois que je goutais à ça, ça m’a vraiment interpelé. C’est un ton qui me plait.

Je lis beaucoup en fait, je lis plus que je ne vois de films. Je trouve que c’est une ambiance que tu retrouves souvent en littérature, plus de finesse, de subtilité, plus de contraste au niveau du personnage, comment on les définit, comment on les peint, plus de détails, les Coen le font très bien et c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup. J’essaie que cela se retrouve dans mes films. Pour le coté rural, je viens de la région où l’on a tourné Je finirai en prison, pratiquement tout le film a été tourné dans le village de mon enfance. Mutants avait été tourné autour des mêmes endroits. En ce moment je prépare un long métrage que j’aimerai tourner dans les mêmes lieux, c’est très riche pour moi, comme terrain de jeu.

Ton prochain film sera dans la même veine, policier, étrange ?

En ce moment je suis en train d’étayer l’idée de base pour le film.  Mon instinct me dit que ce prochain film aura une saveur un peu plus horrifique, donc il descendra encore un peu plus dans le genre, je ne peux pas en dire plus que ça pour l’instant.

Lorsque tu dis que tes influences sont plus littéraires, en effet dans Mutants je ressens beaucoup l’ombre de Charles Burns avec son « Black Hole ». C’est le passage de l’enfance à l’age adulte par la mutation des corps. Il y a cette ambiance intrinsèque à Mutants de vide absolu, on a l’impression que la ville est vide, à part pour le match de baseball, il n’y a pas de figurant.

Dans Mutants, sans vouloir descendre complètement dans une mutation qui serait de nature fantastique, il y avait quand même ce désir là de caster les kids, de trouver des corps, les visages, que l’on sente qu’il y a un changement qui s’opère, qui est comme esthétique et que ça se voit, c’était dans cette idée là. Pour Je finirai en prison, d’un point de vue littéraire, ce qui m’a vraiment troublé c’est The complete Stories de Flannery O’connor, le genre Southern Gothic américain, je connaissais une nouvelle Good man is hard to find ça regroupait toute cette ruralité, il y avait tout ce coté immoral, abstrait, le crime. Ca m’a donné envie d’en lire beaucoup plus et plus j’en lisais plus je me disais que c’était un genre de dynamique dramatique qui m’intéressait. Ca a été une influence sur Je finirai en prison.

Pour parler de la mise en scène de Je finirai en prison, c’est évident que tout a été pensé du début. La première fois que le spectateur voit Maureen, c’est un gros plan, son reflet dans un miroir pour ensuite voir en gros plan également un morceau de papier peint représentant la moitié d’un pomme et d’une poire qui ne match pas. C’est en quelque sorte un faux raccord comme pour préfigurer que ça vie est à cette image, tout est off, elle ne colle plus à sa vie d’avant.

Oui c’est exactement ça, j’essayais de montrer cela. J’écris de la poésie aussi dans la vie, j’ai publié un recueil en 2014 et au printemps en sortira un nouveau. C’est un langage qui m’intéresse beaucoup et qui m’habite, qui se retrouve dans mes films. Au début dans un court métrage, on veut rapidement placer les personnages, on a le gout de montrer « le train dans lequel on embarque les gens », qu’ils ne se posent pas de questions, qu’ils sautent dedans… Alors la difficulté a été de trouver une façon originale de montrer cette femme qui est en décalage avec sa vie, comment filmer que ce matin là, que son mal être lui saute au visage ? Qu’elle ne peut plus tolérer ça ?

Il faut être créatif, alors il m’est venu cette idée de la tapisserie. Quand j’étais jeune, je me rappelle que chez nous c’était recouvert de papier peint et puis un jour on a tout enlevé et je me rappelais observer cette tapisserie là et puis voir à un moment donné que ça n’étais pas seulement une seule et grande image, c’était pleins de morceaux de papiers peints les uns juxtaposés à coté des autres.  Alors je me suis rappelé ces imperfections là. Pour moi, c’est comme un souvenir qui m’a attaqué, c’est alors que j’ai fait le lien avec la vie de Maureen. Il y a beaucoup d’images comme ça, comme les deux bêtes mortes sur le toit de la voiture, on a eu 7 jours et demi pour tourner le film, ma moyenne de prises c’était en 3 et 4, il ne fallait pas
trainer, j’avais pas le temps de montrer tous les détails qui étaient dans le scénario. Bref, les deux bêtes sur le toit de la voiture c’est une mère cerf et son bébé qui pour moi représentaient la mort de la mère. C’est ça qu’annonce le chasseur quand il débarque, il annonce la mort de la mère.

Concernant le personnage de Jelly, on sait assez rapidement que c’est un personnage trouble. Est-ce pour cette raison que tu l’as habillé avec un sweat capuche représentant la tête d’un serpent ?

On a pas eu trop de temps pour créer les costumes. Pour Maureen c’était assez clair je savais ce que je voulais pour elle, je voulais du jean, que ça fasse penser à Thelma et Louise, mais pour Jelly je voulais qu’il ressemble à ces kids qui ont découvert le rap américain en Beauce. Je me disais qu’il manquait quelque chose, j’ai demandé à l’acteur Emile qui est bon en dessin de le travailler lui même, je lui ai dit : « tu vois je pense que Jelly a dessiné sur ses vêtements, y a sa trace dessus, y a du vécu », alors il est parti s’isoler pour customiser ses vêtements. Il devait être dans un trip Egyptien, il avait dessiné deux gros yeux sur les cotés de la capuche, pour moi c’était l’œil omniscient qui sait exactement ce qui se trame, qui voit au travers de Maureen, et qui ressemble à un serpent comme tu dis.

Mais tout ça n’a pas été préparé, ça s’est fait comme ça, il était vraiment le personnage, c’est un super acteur, c’est sorti de lui comme ça. Normalement quand j’écris, il y a déjà cette empreinte de double sens, de poésie qui est là. Ensuit, quand les acteurs s’approprient le scénario, ils le voient, ils sentent ça, ça s’imprègne dans leur vision, dans le jeu de leur personnage. C’est très décloisonné, ma vision du film est clair, je la partage à cœur ouvert, c’est pour cette raison que lorsque l’on discute sur des propositions de jeu d’acteur je suis vraiment open.

C’est ta deuxième collaboration avec Stéphane Lafleur en tant que monteur sur tes films, comment ça s’est passé ? Lui qui est aussi réalisateur. Tu as travaillé également avec l’un de ses acteurs fétiches Francis Lahaye, comment l’as tu choisis ?

Absolument, dans Mutants, j’ai eu beaucoup de chance, j’ai adoré travailler avec lui , mais c’est comme dans tous les films, je ne décide pas comment les idées se présentent à moi quand j’écris un film, si seulement je pouvais décider…, mais pour Francis, je serais prêt à retravailler avec lui demain matin. Je connais aussi pleins d’acteurs ultra talentueux avec qui je voudrais travailler. Je pense qu’il y a beaucoup d’amour dans mes scenarios et beaucoup d’amour avec mes acteurs. J’adore travailler avec eux, c’est comme un privilège, c’est comme des moments de télépathie, je les chérie beaucoup et je pense que ça commence à se savoir et que certaines personnes ont comme envie de travailler avec moi, mais au bout du compt, c’est les idées qui décident qui joue le personnage !

Concernant Francis, aussitôt que j’ai pensé au personnage de Claude (Mutants) il est apparu comme une évidence. Mais à ce moment-là, je l’avais vu jouer dans beaucoup de choses, alors je me suis dit que je pourrais peut être trouver un acteur qui soit moins dans l’air du temps, ce qui est un peu faux car même si on l’a vu dans beaucoup de films, ça ne veut pas dire que beaucoup de gens les aient vu aussi. J’ai fini par faire passer des auditions et puis le coup de foudre s’est confirmé à ce moment-là. j’avais envie de travailler avec lui. En tant qu’acteur, il a une approche particulière, il est très curieux du personnage, très précis, il propose beaucoup de choses. Je pense qu’il m’a aidé à amener le personnage plus loin en fait.

Tu as également travaillé une nouvelle fois avec l’un des acteurs de Mutants pour Je Finirai en prison, Joseph…

Oui c’est un p’tit gars de la Beauce, il interprète en fait le même personnage dans les deux films. Au début ça ne devait pas être comme ça et puis à un moment donné j’ai vu comme une chance, comme tu as dis dans le sens qu’autour des jeunes c’est le vide, il n’y a pas vraiment d’adultes , il y a le coach, il y a la mère mais où sont les parents des autres ? On ne sait pas, alors j’ai décidé de saisir cette opportunité pour montrer qui sont les parents de ces kids là, la famille de Keveen à quoi elle ressemble, de l’avoir fait grandir, de me servir de ce dont il avait été témoin dans Mutants.  Ca s’était imprimé en lui, ça a du le changer, j’ai ressenti l’envie de ramener son personnage, de montrer ce qu’il était devenu.

Ca voudrait dire que tu prépares un triptyque ?

(Rire) Je ne sais pas, je ne m’en fais vraiment pas un point d’honneur mais on dirait que quand ça se présente à moi, j’ai du mal à m’empêcher de faire des liens, j’ai du mal me projeter dans le futur mais ça se pourrait que dans le projet de long métrage, on puisse faire des liens de ce genre.

Dans l’idéal quand aimerais tu commencer le tournage de ton premier long ?

C’est un long processus, mais grâce à Je finirai en prison qui fonctionne bien, ça aide beaucoup pour ce projet qui s’appelle ShapeAlors 2021, si tout va bien, mais franchement j’ai pas la patience d’attendre. Je veux battre le fer tant qu’il est encore chaud. Je suis inspiré, j’ai hâte de retourner sur le set, j’ai hâte de retrouver cette énergie particulière, je me sens confiant, avec un peu de chance on tourne ça le plus vite possible !

Pour tous ceux qui aiment le cinéma, aujourd’hui, maintenant avec ton feeling du moment quel film conseillerais-tu ?

Je ne suis pas très cinéphile, j’aime autant la littérature, la poésie et la musique, je regarde surtout des courts métrages comme j’en distribue. J’ai vu un film de Claire Denis Beau travail, j’ai trouvé ça super, j’ai vraiment aimé ce film. Mother aussi de Bong Joon Ho, j’ai vraiment beaucoup aimé et en court métrage, un film qui m’a fait tripé, Acid Rain de Tomek Popakul.

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Cyril Caine