INTERVIEW. Élie Girard : « Ce film rappelle un moment de vie que chacun a pu expérimenter »

Auréolé de plusieurs prix, dont le prestigieux César du meilleur court métrage 2022, Les Mauvais Garçons brille par son parcours idyllique. Naturel, émotion et délicatesse, voici les maîtres mots de ce film court sur l’amitié masculine. Rencontre avec Élie Girard, le réalisateur de cette pépite pleine de sincérité.

Les Mauvais Garçons est une adaptation de ta fiction radio. Peux-tu nous en dire plus sur le sujet ?

En sortant de la formation « l’atelier scénario » à la Fémis, des personnes de Radio France sont venues nous proposer d’écrire pour la radio. C’est un média auquel je suis très sensible et j’ai sauté sur l’opportunité de me faire la main sur une forme assez longue et promise à être largement écoutée. C’était une série de 10 épisodes de 7 minutes, destinée à être diffusée quotidiennement. Malheureusement, la case sur France Culture a disparu juste avant l’enregistrement. Je me suis donc retrouvé avec mon histoire et mes personnages, développée sous la forme très particulière qu’est la fiction radiophonique. C’était formidable d’avoir pu produire cette première matière, sans se mettre la pression d’un potentiel film. Et c’est d’ailleurs sur cette base qu’on a commencé à collaborer avec Films Grand Huit. Tout le travail d’adaptation a consisté surtout à couper des personnages : ils étaient au départ 5, puis 4, jusqu’à arriver à 2, ce qui me semblait la meilleure configuration pour mettre en valeur la tension entre la pudeur et l’intimité.

Comment s’est déroulé le casting du film ?

Très simplement. Comme le casting est pour moi l’étape la plus importante de la fabrication, je me suis mis à regarder tous les comédiens de cette tranche d’âge comme un forcené, en faisant des recherches et des listes, alors même que je n’avais pas encore terminé d’écrire. C’était très inspirant. Ensuite, Marine Albert (directrice de casting) m’a rejoint. Elle m’a présenté des comédiens, moi d’autres, et on a fait plusieurs tours d’audition. J’avais vu Aurélien Gabrielli dans Quand je ne dors pas puis dans Daniel fait face, deux films où il est extraordinaire d’immédiateté, avec une dimension mélancolique très juste, très vraie. En vérité, j’ai su assez tôt qu’il était la bonne personne pour incarner Cyprien.

Concernant Raphaël Quenard, je l’ai découvert assez tôt dans la première saison de HP. Chacun se souvient de la première fois où il a vu Raphaël, et je n’échappe pas à la règle : il m’a tout de suite plu par sa folie, son exagération toujours sincère. J’ai eu un doute car j’avais peur qu’il prenne « trop de place » dans le duo, qu’il phagocyte son propre personnage et celui d’Aurélien. Mais en essai, j’ai compris qu’il était très malléable et que je pourrais l’emmener où je voulais (vers quelque chose de plus intime). Je suis extrêmement heureux et fier de ce casting, ça a été deux rencontres déterminantes et le film doit beaucoup à ces deux gars-là.

Photo : Élie Girard
Souvenirs, mélancolie, nostalgie… Ce court métrage aborde la fin d’une belle époque, celle de la jeunesse. Est-ce un sujet qui te tient à cœur ?

Bien sûr ! Et c’était surtout ce que j’étais le plus apte à raconter, au moment où j’ai commencé à écrire. J’étais sorti de ce moment-là, tout en en ayant encore un souvenir très vivace. Je me sentais légitime à conter ce type de liens. D’un côté, je désirais plonger en moi-même, faire l’effort de dévoiler des souvenirs personnels et intimes, tout en traquant en eux quelque chose d’universel. Quand des personnes plus âgées dans le public sont touchées par le film, c’est la plus belle des récompenses car je me dis que j’ai réussi à cet endroit-là. Il rappelle un moment de vie que chacun a pu expérimenter. En outre, je crois que le cinéma est un art intrinsèquement mélancolique car il retranscrit un moment qui a existé et qui est venu mourir sur la pellicule (ou le capteur numérique même si la formule est moins gracieuse). Pour cette raison, les films auront toujours des facilités à résonner avec des morceaux de souvenirs, des regards en arrière et des rêves inachevés.

Tout au long du film, Cyprien et Guillaume se confient en partageant leurs sentiments et leurs émotions. Mettre en lumière cette histoire d’amitié sincère entre hommes est-il une manière de briser le tabou de la masculinité toxique ?

Ce n’était pas une intention à la base. J’ai surtout voulu montrer des relations amicales telles que je les connaissais, qui me semblaient un peu absentes à l’écran. C’est en écrivant que j’ai compris qu’il y avait une tension entre ce que les personnages croient être et ne sont pas vraiment… Qu’ils étaient engoncés dans des schémas de masculinité qui les empêchait d’avancer. C’est par les personnages que cette thématique a émergé. À ce sujet, j’ai voulu raconter qu’il y avait justement un chemin possible de guérison pour ces jeunes hommes qui – ayant été éduqués comme tel – sont empêtrés dans des stéréotypes. Et que ce chemin passait par la confession. Et comme la confession me semble être un motif éminemment cinématographique… Le film a trouvé sa nécessité ainsi.

Photo : Élie Girard
On parle d’amour, d’amitié, de bières, frites, canettes et souvenirs. Finalement, ce qui fait la force et la singularité de ce film, c’est sa façon d’aborder la vie simplement et sans artifices. Était-ce ton objectif ?

En fait, mon objectif était presque l’inverse, c’est-à-dire trouver une forme cinématographique (donc un artifice) pour que ces conversations-là aient l’air naturelles. Mais tout cela est fabriqué. Au fond, les dialogues sont très écrits avec même une dimension assez littéraire à certains moments, très peu improvisés, et il y a de nombreux motifs artificiels dans le film (chapitrage, intertitres, voix off, ralenti, musique, fantôme). Je crois profondément que c’est l’équilibre entre le naturalisme et l’artifice qui permet d’atteindre une certaine vérité. J’ai beaucoup réfléchi à ça au cours de la fabrication de ce film, car je voulais qu’il soit le plus universel possible.

Auréolé de plusieurs récompenses, Les Mauvais Garçons vient de recevoir le César du meilleur court métrage 2022. Comment vis-tu cette « consécration » ?

C’est un énorme boost de confiance ! C’est quelque chose de très heureux, et qui permet en plus au film d’être vu et diffusé davantage. Globalement, ce film a connu un parcours assez idyllique, et ça m’a vraiment ouvert des portes. Pour ma vie professionnelle bien sûr, mais aussi au sens où ça a débloqué des choses en moi. J’ai compris qu’en étant vraiment sincère on pouvait toucher le cœur de gens extrêmement différents, même ceux qui semblaient a priori éloignés. C’est une leçon que j’emporte pour mes futurs projets.

Photo : Élie Girard
Quels sont tes projets à venir et tes envies futures ?

Suite au moyen-métrage Les Mauvais Garçons, j’ai co-écrit et co-réalisé une série qui s’appelle Platonique et qui va sortir sur OCS le 5 mai 2022. On a terminé récemment, et je m’attelle maintenant à mes futurs projets. J’en ai plusieurs, dont je tire les fils pour voir où ils m’emmènent. Le tournage de la série m’a rappelé à quel point j’aimais le plateau, et j’aimerais avoir l’occasion de réaliser en dehors de mes propres projets.

Ton portrait chinois :

J’ai bien conscience de ne pas répondre au concept du portrait chinois en répondant ça, mais :

  • Mon film, c’est Deer Hunter, qui est autant un film de guerre qu’une histoire d’amitié.
  • Mon acteur, James Stewart, pour sa voix, son allure qui est aussi élégante que maladroite, ce qui me semble miraculeux.
  • Mon personnage, celui qui m’a le plus marqué récemment c’est Don Draper de la série Mad Men. Mathiew Weiner (le créateur de la série) a une approche extrêmement psychologisante tout en parvenant à produire un effet d’incarnation très fort. J’adore en réalité tous les personnages de cette série.
Photo : Élie Girard

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Mégane Bouron