Dans le cadre de La Fête du Court Métrage à Brest, nous avons rencontré Sébastien Bailly, réalisateur du court métrage multi-primé Où je mets ma pudeur. Le temps d’un instant, le cinéaste nous ouvre les portes de son univers à la fois sensible et intimiste.
Ça m’intéresse de mieux comprendre l’altérité.
Tu fais cette année partie des invités d’honneur de La Fête du Court Métrage à Brest. Que représente pour toi ce format qui reste encore trop peu connu du grand public ?
Pour moi les courts métrages sont des films, peu importe la durée. Parfois il y a même des chefs d’œuvre du cinéma qui sont des courts et moyens métrages. Je pense qu’il y a des sujets, des histoires qui s’adaptent à cette durée là et j’ai toujours eu l’impression de me dire que telle histoire est bien en 15 minutes ou 20 minutes. En long métrage, ça ne serait pas forcément le cas. Ce sont des histoires que nous racontons et qui rencontrent des spectateurs. Je e pense qu’à partir du moment où on a un peu de durée (au-delà de 10 minutes) on peut installer une mise en scène, faire entrer un spectateur dans son univers.
Six ans après, tu reviens nous parler de ton court métrage Où je mets ma pudeur. Quel effet ça te fait de revenir sur les pas de ce film multi-primé ?
Ça me fait d’abord très plaisir car c’est un film que j’aime beaucoup et dont je parle encore assez souvent. Il tourne toujours et est souvent présenté dans des lycées, collèges, à l’occasion de débats car il a un thème particulier autour du hijab que porte la jeune femme. C’est un film autour de la laïcité pour lequel on me sollicite souvent. Je tiens beaucoup à ce sujet-là et puis c’est intéressant de voir la réaction des spectateurs qui sont souvent intéressés et qui réagissent quelquefois de manière vive. J’aime beaucoup la rencontre avec le public sur ce film.
50 nominations en festivals et pas moins d’une dizaine de prix, Où je mets ma pudeur est un film qui aborde de manière très esthétique la question de la religion à l’Université. Pourquoi as-tu choisi de traiter ce sujet sociétal controversé ?
Je ne me suis pas dit que j’allais m’attaquer à ce sujet-là, car c’est délicat. Je me suis juste interrogé comme citoyen parce que dans mon quotidien, dans la rue, le métro ou le bus, je croisais ces jeunes femmes qui portaient le hijab et très souvent dans les médias, revenaient cette polémique autour des vêtements et moi-même je n’en savais rien. Je n’en connaissais rien donc je me suis renseigné, d’abord sur internet, puis je suis allé rencontrer des jeunes femmes qui le portent et j’ai découvert la notion de pudeur qui était attachée à ce vêtement et dont on ne parle jamais. Dans les médias on évoque quelque chose de sensible, en rapport avec la soumission de la femme par un père ou un mari, mais ce n’est pas toujours le cas. Donc ça m’intéressait d’en parler. Ensuite, je me suis dit qu’il fallait que je trouve une forme et une façon d’en parler qui soit visuelle, dont le tableau, pour que ça ne soit pas un discours direct d’une personne qui justifie son choix. Il fallait qu’elle puisse parler de cette notion de pudeur mais à travers quelque chose. Une fois que j’ai trouvé cette façon de traiter le sujet à travers une œuvre et un tableau, là je me suis dit qu’il y avait un film, car il y a une forme cinématographique possible ainsi qu’une mise en scène.
Ton dernier court métrage, Féminin Plurielles, met en lumière le portrait de plusieurs femmes d’aujourd’hui avec leurs doutes, leurs rêves et leurs questionnements. Tu portes à travers ce film un regard singulier et traite sous un nouvel angle la question de la femme au cinéma. Justement, le cinéma est-il pour toi une façon de parler ouvertement des problèmes de la société ?
Oui c’est une des façons assez forte, relativement populaire et accessible où on peut montrer pleins de choses de façon visuelle, sonore, sensible. On peut s’intéresser à l’intimité des personnages. Ce que j’aime faire c’est suivre des personnages féminins et essayer de faire en sorte que le spectateur se mette un peu à leur place et ressente des choses qu’elles ressentent. Donc oui je pense que le cinéma peut servir à ça, mais ce qui m’intéresse également c’est qu’il y a aussi de la mise en scène et du visuel. Je ne veux pas prendre un sujet de société systématiquement, car sinon il faut faire du documentaire ou du journalisme. Il se trouve que j’ai réalisé trois portraits de jeunes femmes où il y a des résonances. Il s’agit toujours de femmes déterminées, qui s’affirment et qui affrontent le regard des autres. C’est trois films fonctionnaient bien ensemble. Mais dans un prochain projet, il n’y aura pas de sujet de société, on va suivre une actrice de 45 ans, là où elle en est dans sa vie de femme, de mère, par rapport à son désir pour les hommes. Ce n’est pas un sujet de société mais c’est à nouveau un portrait.
J’ai découvert la notion de pudeur qui était attachée à ce vêtement et dont on ne parle jamais.
Et pourquoi ce travail sur les femmes ?
Je pense qu’en fait ça m’est plus facile. Si c’était des personnages masculins, je pense que les gens se diraient « quelque part c’est lui » et ça me dérangerait. Ces personnages féminins c’est un peu moi, je sais ce qu’il y a dedans de moi. Ça m’intéresse de mieux comprendre l’altérité car il y a des vrais différences et c’est tant mieux. C’est ce qui est intéressant. C’est également riche car les femmes se livrent plus et assument plus facilement l’intimité, alors que les hommes gardent les choses. Et puis, on en a vu tellement aussi au cinéma ! Là où il y a de choses nouvelles à faire, c’est avec des personnages féminins, forts, déterminés et complexes. Il y aussi pleins d’actrices que j’ai envie de filmer (des hommes aussi bien-sûr). Je me sens plus proche d’elles bizarrement et ça m’intéresse plus.
Quels sont tes projets futurs ?
J’ai un projet de long métrage que j’espère tourner dans les mois qui viennent. Il est encore en financement mais le casting est complet. Je ne peux pas vraiment rentrer dans les détails mais c’est un portrait d’une comédienne de 45 ans. C’est un film où il y a un peu de fantastique aussi. C’est encore tôt pour en parler car c’est une période particulière puisque le scénario est écrit, les comédiens sont engagés mais je n’ai pas encore tout le financement du film. C’est dans un entre-deux. J’y pense tous les jours, tout le temps et le film est dans ma tête. Il me tarde de le tourner.
Si tu devais définir ton univers en un mot, lequel serait-il ?
Je cherche si quelqu’un m’a dit un jour un truc du genre. C’est compliqué, je pourrais dire intime mais je ne suis pas le seul. En tout cas, j’espère que les gens ont un rapport intime avec mes personnages, j’espère qu’ils les rencontrent vraiment. J’espère qu’ils ne restent pas à distance et qu’ils éprouvent également les sentiments ressentis par mes personnages. Je dis intime, sensible, faute de mieux car ça m’est difficile de définir. On me demande souvent quel genre de film je réalise, mais j’ai envie de mêler des choses et pas seulement de faire un film de genre. J’aime quand c’est mêlé. Par exemple, mon dernier film mélange l’intimiste avec le fantastique.
Un dernier mot pour ta présence à La Fête du Court Métrage à Brest ?
Je suis ravi d’être là car je ne suis jamais venu à Brest. Je découvre ce lieu qui est très beau. Tout à l’heure, je vais rencontrer des spectateurs et c’est un moment que j’aime toujours. J’espère qu’ils seront nombreux, qu’ils auront des questions surprenantes, intéressantes et qu’ils réagiront. Des fois il y a des réactions fortes par rapport au film, par exemple où les gens sont surpris car ils découvrent ces jeunes femmes porter le hijab sous un nouvel angle. J’espère que ça va les toucher. C’est ce que je souhaite quand je viens présenter ce film-là devant le public.